LES BIAIS COGNITIFS, CES DETERMINANTS INVISIBLES DE NOS COMPORTEMENTS
Nous aimons croire que nous agissons de façon rationnelle. Pourtant, notre cerveau en décide autrement. Et si certaines de nos décisions, que nous pensons logiques et justes, étaient en réalité guidées par nos réflexes les plus inconscients ?
Une part invisible de notre pensée – nos réflexes mentaux, nos raccourcis de pensée, nos émotions – influence profondément nos choix. Comprendre l’humain, c’est accepter qu’il existe des zones d’ombre qui orientent nos décisions autrement que par la logique.
Les inégalités ne découlent pas uniquement des règles ou des structures d’une entreprise, elles s’enracinent aussi dans des mécanismes silencieux, puissants et redoutablement efficaces : les biais cognitifs.
Comprendre pour progresser vers l’égalité professionnelle
Saisir l’origine de ces biais est une étape incontournable sur le chemin de l’égalité.
Comme le dit joliment un ami « Quand on ne comprend pas, on est soumis. » L’enjeu est immense : apprendre à repérer ce que nous faisons inconsciemment, à trouver un sens aux comportements qui nous échappent, sans quoi notre cerveau peut déclencher une angoisse physiologique aiguë.
Stéréotypes, préjugés : de quoi parle-t-on ?
Un stéréotype est une idée ou une image populaire, caricaturale, que l’on se fait d’une personne ou d’un groupe, fondée sur une simplification abusive de certains traits de caractère. On parle aussi de biais perceptif. C’est une manière rapide qu’a notre cerveau d’organiser le monde, une économie mentale certes mais aussi une source d’erreurs.
Quant au préjugé, il est comme son cousin émotionnel : une croyance qui, appliquée à une décision, peut se transformer en biais décisionnel…et parfois en discrimination.
Penser, par exemple, qu’un garçon est naturellement meilleur qu’une fille en mathématiques est déjà un biais cognitif. Ce type de croyance influence les attentes, les encouragements et, plus tard, l’orientation scolaire et professionnelle des jeunes filles parfois loin des filières scientifiques où elles pourraient pourtant s’épanouir.
Pour progresser collectivement, il est donc crucial de comprendre l’origine des stéréotypes : sans cette lucidité, nous restons aveugles à ce qui freine les avancées vers l’égalité.
A quel âge, tout cela commence-t-il ?
Bien plus tôt qu’on ne l’imagine. Le conditionnement social agit très tôt sur le développement mental de l’enfant. Ce n’est pas inné, c’est acquis : vers 10 à 12 mois, l’enfant fait déjà des associations par similitude, et les stéréotypes de genre sont intégrés dès l’âge de 2 ans. A 4 ans, les enfants associent déjà pouvoir et masculinité, même dans les pays considérés comme les plus égalitaires, comme la Norvège. Dans certaines situations, cette association ne se manifeste pas chez les filles mais toujours chez les garçons (CNRS).
D’où viennent nos stéréotypes ?
1) De notre cerveau
Limité dans sa capacité de traitement, il simplifie : il crée des catégories, des familles, des raccourcis de pensée. Cela lui permet une forte économie mentale et un positionnement rapide, sans effort.
Non, nous n’utilisons pas que 10% de notre cerveau : c’est une légende !
Il est rapidement en surcharge informationnelle accentuée aujourd’hui par notre vie en mode multitâches.
Cette simplification, utile à notre santé mentale, devient problématique lorsqu’elle s’applique aux êtres humains.
2) De la société
Les croyances, traditions et habitudes renforcent cette catégorisation. Cette influence sociale imprègne nos comportements verbaux et non verbaux, souvent sans que nous en ayons conscience.
Ces croyances s’impriment en nous à force de répétition, jusqu’à devenir le tissu même de nos façons d’agir.
Inutile de nier : nous en avons tous
Des stéréotypes et des préjugés, tout le monde en a. Le déni ne fait que leur donner plus de pouvoir.
Plus nous sommes fatigués physiquement et mentalement, plus nous risquons de les utiliser. Et plus ils sont anciens, familiers, répétés, intégrés culturellement, plus ils sont perçus comme vrais.
Plus troublant, il n’est même pas nécessaire d’adhérer à un stéréotype pour être sous la menace de ce stéréotype : il suffit de le connaître et d’en être conscient.
L’OCDE mène des études très intéressantes avec des scientifiques du CNRS et autres instituts de recherche, sur les effets de ‘la menace du stéréotype’ dont les conséquences sont l’autocensure (je me limite, je m’interdis de penser que je suis capable), l’exclusion (je ne me sens pas à ma place et je pars), ou encore l’obligation de s’assimiler (je m’oblige à me fondre dans le groupe) …
Aucun de ces comportements ne conduit à l’épanouissement.
Alors, comment agir sur les biais inconscients ?
Agir sur nos stéréotypes, c’est d’abord apprendre à les reconnaître. Bien circonscrire ses zones d’ombre, savoir mettre le doigt dessus. Cela demande de la conscience, du temps … et un vrai désir de comprendre l’autre.
Le philosophe Gilles Deleuze le disait poétiquement : « Prendre le temps de faire le tour de la différence de l’autre » sinon nous prenons le risque de nous déconnecter de nos valeurs les plus profondes.
L’exemplarité, la transmission par les rôles modèles, la bienveillance sont nos meilleurs leviers. Montrer la voie, c’est donner envie et du courage à ceux qui ne demandent qu’à être inspirés.
Comprendre comment fonctionne notre cerveau, c’est aussi apprendre à anticiper nos réactions pour éviter les pièges
C’est essentiel pour les sujets à forte charge émotionnelle : égalité professionnelle, mixité, identité de genre, sexisme … Autant de domaines où la raison pure n’a pas toujours le dernier mot car ils touchent à notre intimité la plus profonde.
Nos émotions biaisent notre logique, c’est une autre facette, tout aussi passionnante, à explorer bientôt, celle des émotions dans nos prises de décision. Quand la raison ne suffit plus à expliquer nos choix.
En conclusion, les biais cognitifs ne sont pas des faiblesses, mais des raccourcis de fonctionnement. Les connaître, c’est se donner la liberté de penser… et de choisir autrement.